Deux chansons
Parfois je me demande si il écoute encore la première, et si il se rappelle alors qu'il m'en avait griffonées les paroles sur un bout de ticket de caisse arraché à la va-vite.
Il vendait des disques, et moi des fringues. Nous étions étudiants. Nous devions faire de la musique. J'étais fascinée par ses mains qui couraient sur la guitare. Une Takamine. Pas que je me pâmais comme une midinette à qui on la conte avec deux pirouettes et trois belles paroles. Non. Je voyais bien qu'il y avait quelque chose de rare dans son jeu. Une dextérité, une sensibilté, une intensité. J'étais médusée.
Je n'ai jamais réussi à chanter. Je voulais trop bien faire, dès le début. C'était foutu. Comme pour le reste.
J'ai pas su faire.
J'ai pas suffi.
Après d'âpres hostilités*
Après d'âpres hostilités
Tu me prenais la main et tu m'emmenais
Sur le mont Valérien me faire voir
Les galaxies
Me faire écouter
Les comètes
Tu me disais
Préconisais
Des caresses volubiles
C'était quand je voulais
Où je voulais
Je n'étais plus ta risée
Après d'âpres hostilités
Tu m'arrivais comme un torrent
Dans l'estuaire
Tu me disais
C'est des ragots
Du fiel
Le venin d'un ver de terre
J'irai en découdre
Avec ce tissu de mensonges
Abattons la cloison
Arrachons les plinthes
La citadelle
Au créneau
A l'assaut de l'euphorie
C'est pas le fruit d'une mûre réflexion
Mais plutôt une pulsion
Sans nom sans définition
Mon unique solution
Pure laine coton
C'est pas le fruit
C'est pas la saison
C'est pas la raison
Après d'âpres hostilités
Tu me prenais la main et ça tournait
Tu me disais
C'est la faute au cerveau
Ces faux départs
Drapés dignes
Reprenons les grandes manoeuvres
La tenue léopard
Je ne suis là que pour toi
Je ne suis là que pour toi
J'ai fait un songe
Une hypothèse
Un projet de baise
C'est pas le fruit d'une mûre réflexion
Mais plutôt une pulsion
Sans nom sans définition
Mon unique solution
Pure laine coton
C'est pas le fruit
C'est pas la saison
C'est pas la raison
Parfois je me demande si -quand j'entends la seconde- après la colline, il y est encore.
La ficelle*
Par la meurtrière
Guète l’ennemi
Guète l’amant
Après la colline, j’y suis
Par la meurtrière
Guète l’horizon
Guète la vie
Je n’attendrai pas l’automne
Ses sonates à mon sonotone
Je n’attendrai pas
Que s’abaisse le pont-levis
Je suis les îles
Je suis les ailes
Je suis la ficelle
Qui se tend
Je suis pas cruel
Juste violent
Par la meurtrière
Guète l’infidèle
Guète l’indécis
Après la colline, j’y suis
Par la meurtrière
Guète l’hérésie
Guète la vie
Je suis le miel
Je suis le fiel
Je suis la ficelle
Qui se tend
Je suis pas cruel
Juste violent
Je n’attendrai pas qu’on me sonne
Je n’attendrai pas qu’on me pardonne
Dussé-je boire l’eau des douves
Dussé-je croiser le fer avec ton majordome
Ce n'est pas toi que je rumine encore. Je le sais.
C'est mon père.
Mais si pour lui je n'ai jamais su - toi, j'aurais tant aimé que tu m'aimes.
C'est dur de ne pas fumer ce soir.
Ce n'est pas dur de pleurer.
*Alain Bashung, 1994 & 2002