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la girouette
21 janvier 2006

Wild Wild Zep

Vendredi.
Il est 10h10. Paris est déjà éveillée depuis un moment mais moi, bien qu'étant en cours depuis 7h50, je suis encore au radar pour cause de surmenage associé au manque de sommeil.
J'entends des cris dans le couloir. Encore, putain! J'en ai marre de gérer ce qui se passe à l'étage de mon bâtiment. Mardi matin une collègue a fait un malaise et s'est effondrée, inconsciente, dans sa classe, et ça a été le prétexte pour que, dans la panique, les gamins se ruent hors des classes, s'attroupent, chahutent... jouent les charognards. Suite à cet événement déplorable, j'ai d'ailleurs pris dix minutes sur chacun de mes cours pour faire un discours pas piqué des vers à tous mes élèves et faire un rappel des mesures de sécurité à respecter lors de la perte de connaissance d'une personne.
Et puis l'heure d'avant, je me suis déjà rendue dans une salle réquisitionnée pour une permanence parce que, dix minutes après la sonnerie, il y avait encore des gamins qui traînaient dans les couloirs, qui hurlaient, ouvraient les portes, etc... Le surveillant avait beau les choper par le col et les traîner dans la classe, ils ressortaient aussi sec. J'ai perdu vingt minutes sur mon cours pour obtenir le silence de ces énergumènes, qu'ils rentrent dans leur salle, sans parler de la fermeté et de la répartie qu'il m'a fallu, sans faille, pour que les plus virulents (tous) me donnent leur carnet et cessent de me répondre avec insolence. Ça fait déjà sept rapports au compteur à rédiger entre midi et deux au lieu de la correction de mes copies en retard.
Alors là, non, ce sera sans moi aujourd'hui vendredi vingt janvier 10h10, j'ai déjà eu mon lot pour la journée.

Mais ça crie fort quand même.
J'ouvre la porte et, au milieu d'un attroupement j'aperçois une bagarre que des collègues et des élèves tentent de séparer. Je me précipite sur le groupe le temps de comprendre qu'un élève est en train de taper sur une élève qui se débat avec force et que personne n'arrive à s'interposer. L'élève en question est ceinturé par un autre, j'entoure la jeune fille de mes bras et la pousse dans sa classe. A l'intérieur, il y a d'autres élèves qui pleurent et qui crient. Je ferme la porte et somme les élèves qui se sont rués à l'extérieur, alors que leurs professeurs étaient venus en renfort, de retourner dans leurs classes. D'autres collègues sont là et réussissent à canaliser les badauds. Un semblant de calme revient, je demande à la collègue en charge de la classe ce qui s'est passé, elle est paniquée: "Je ne sais pas, j'étais en train de faire cours et D. venait juste d'arriver et de déposer ses affaires, et il s'est mis à taper sur un élève. Les deux soeurs se sont levées pour tenter de le maîtriser, comme il tapait toujours plus fort elles se sont mises à frapper aussi, et là, il s'est retourné contre elles et s'est mis à battre la plus grande avec une violence inouïe, je n'ai jamais vu ça!" J'ai à peine le temps de lui demander si elle ça va que D. ressurgit soudain, le même élève le maintenant comme il peut contre le mur et lui parlant en tentant de capter son regard.
Je me précipite dans ma classe et leur dis le plus calmement possible depuis l'encadrement de la porte: "Je reviens! Prenez votre exercice et corrigez en comparant ce que vous avez fait avec votre voisin, et soyez raisonnables s'il vous plaît, restez au calme dans la classe. Je vous fais confiance." Je retourne derechef à l'autre bout du couloir. D. est difficilement maîtrisable, je demande à un élève d'aller vite chercher de l'aide. D. tente de rentrer dans la classe où se trouvent les deux gamines. Celui qui le ceinture me dit qu'il veut son cartable. On me le fait passer, je le lui tends. Il ne veut toujours pas partir et tente de se libérer de l'étreinte en direction de la salle dont je tiens la porte fermement. "Sa veste! Sa veste madame! Il veut sa veste!". Je récupère la veste et la lui jète. Un surveillant arrive et ceinture D. à son tour. La collègue qui fait cours dans la classe à côté apparaît soudain (j'apprendrai ensuite qu'elle était allée chercher du renfort), les yeux rougis, l'air paniqué. Elle tente de parler à D. pour le calmer, pendant que le surveillant le maintient tant bien que mal. Je confie le siège de la porte à mon autre collègue.
Je raccompagne l'élève qui nous a été d'une aide précieuse dans sa classe afin d'expliquer les raisons de son retard à la collègue, mais à peine me suis-je exécutée que j'entends à nouveau des cris à l'autre bout du couloir. Je me précipite sur les lieux et retrouve mes deux collègues prostrées devant la porte grand-ouverte de la salle de classe. A l'intérieur, j'ai à peine le temps de voir le surveillant tentant de retenir D. sans succès qui a tout sacagé dans la classe, tables et chaises renversées, trousses et livres éparpillés. Il donne des coups de pieds dans tous les sens et l'une des deux soeurs se défend en tapant de toutes ses forces. Je l'attrape par la taille, la serre dans mes bras et lui dis en la tirant vers l'arrière: "Viens, viens avec moi, on s'en va, viens..." Je ne sais pas quoi dire d'autre sans avoir l'air paniqué, car j'ai compris que tant que D. saura où elles sont, nous ne serons pas assez nombreux pour le retenir. Je sors avec la gamine dans mes bras en tentant de lui parler calmement, d'autres surveillants sont arrivés (sûrement depuis un moment mais je ne m'en suis même pas rendue compte) et je chuchote à la plus proche de moi: "Prends la soeur et amène là dans ma salle. On va les cacher dans ma classe."
Nous nous précipitons dans ma salle, les deux gamines en pleurs, moi essouflée et échevelée. Mes élèves, prostrés et paniqués, me demandent: "Mais qu'est-ce qui se passe madame? Qu'est-ce qui se passe?!"
J'ai envoyé chercher du monde, fermé à double tour, rassuré les gamins, réconforté les deux filles... puis le principal adjoint est arrivé, je lui ai confié les deux élèves qui s'étaient un peu calmées.
J'ai remercié mes élèves pour leur coopération, puis j'ai repris mon cours toute essouflée et tremblante, disant un mot à la place de l'autre... un peu d'autodérision pour dédramatiser la situation et détendre les élèves, j'étais tellement en vrac que ça nous a bien fait marrer.

Quand j'ai enfin pu décompresser, je suis restée stone pendant les trois heures de ma pause déjeuner... j'ai quand même trouvé la force de rédiger deux rapports sur sept huit (7+1=8).
Conclusion: j'ai du boulot pour ce weekend (en plus de mes copies à la bourre) mais cette fois-ci, je m'en sors sans hématome. Pour ce qui est des séquelles psychologiques, on verra plus tard.
Le boulot de prof de ZEP est plein de surprises et de rebondissements, je vous le conseille en petites cures de cinq années, minimum requis pour avoir droit à un bonus de points pour une mutation.
Si d'ici là, bien sûr, vous n'avez pas claqué d'une crise cardiaque...

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Commentaires
L
mouais...<br /> sauf qu'un prêt qui peut durer dix ans, je sais pas si c'est très honnête quand même ;)
L
-> r.: Non, moi c'est girouette.<br /> -------------------------------------------------<br /> -> Peter Parker: Hey cool, canalblog a enfin transformé les pseudos en liens actifs vers leurs blogs! (quoi y'a un truc plus simple pour le dire? quoi ça fait longtemps? woh, tu m'cherches?)<br /> -------------------------------------------------<br /> -> Papy: Merci.<br /> -------------------------------------------------<br /> -> lalune: contrairement à la fourmi, la girouette est très prêteuse... non, non, ne me remercie pas, c'est un plaisir :p<br /> -------------------------------------------------
L
et qui c'est qui retrouve ces charmants bambins dans son bureau en mission locale après ? :D<br /> bisous et courage !
P
merci de nous rappeler le quotidien d'un prof en zep ou dans votre "charge" horraire n'est pas compter une décharge pour la réflexion éducative qui devrait étre un mi-temps de service pour tous, donc doubler les effectifs(rêvons un peu) pour pouvoir mettre en place toute sorte de projets d'accompagnement éducatifs et psychologiques pour tous(élèves et professionels) nécessaires, qu'implique la survie, mais aussi de pouvoir mener à bien dans des conditions descentes la mission d'enseignement dans ce genre d'établissement... <br /> je vous embrasse toi et tes collègues, courage(désolé, c'est tout ce que je peux faire, mais le coeur y est...) continuez à faire savoir à l'extérieur ce que vous vivez! non à la violence institutionelle contre les élèves et les équipes pédagogiques et éducatives! d'un comédien intervenant en ZEP à Trappes(78)depuis 1989.
P
C'est qui ce D. ? Ah ça y est j'ai trouvé... David Banner alias Hulk !
la girouette
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