La bête qui meurt
Quand on vit chaste, sans sexe, comment supporter les défaites, les compromis, les frustrations de l'existence? En gagnant plus d'argent, toujours plus? En faisant des enfants? Ça aide, mais c'est loin de valoir la Chose. Parce que la Chose a élu domicile dans ton être physique, dans la chair qui naît, la chair qui meurt. Parce que c'est seulement quand tu baises que tu prends ta revanche, ne serait-ce qu'un instant, sur tout ce que tu détestes et qui te tient en échec dans la vie. C'est là que tu es le plus purement vivant, le plus purement toi-même. Ce n'est pas le sexe qui corrompt l'homme, c'est tout le reste. Le sexe ne se borne pas à une friction, à un plaisir épidermique. C'est aussi une revanche sur la mort. Ne l'oublie pas, la mort. Ne l'oublie jamais. Non, le sexe n'a pas un pouvoir illimité, je connais très bien ses limites. Mais dis-moi, tu en connais, un pouvoir plus grand?
(...)
Les soirs où elle n'est pas avec moi, je me torture à me demander où elle est et ce qu'elle peut bien fabriquer. Mais même quand elle vient passer la soirée, une fois qu'elle est retournée chez elle, impossible de fermer l'oeil. Être avec elle est une expérience trop forte; je me redresse dans mon lit, et je crie, au coeur de la nuit: "Consuela Catsillo, fous-moi la paix!" Ça suffit, je me dis. Lève-toi, change les draps, reprends une douche, débarrasse-toi de son parfum, et puis débarasse-toi d'elle! Il le faut. Tu lui livres une bataille perdue d'avance. Où sont donc la plénitude, le sentiment de possession que tu devrais connaître? Puisque tu l'as, comment se fait-il que tu ne l'aies pas, cette fille? Tu ne l'as pas alors même qu'on te la donne. (...) Ça m'inquiète qu'elle se promène avec ce chemisier. Sous la veste, le chemisier. Et sous le chemisier, la perfection. Un jeune homme va la trouver, et il va l'emporter. Il va me la voler à moi, qui ai mis le feu à ses sens, qui lui ai donné sa stature, moi le catalyseur de son émancipation, moi qui l'ai préparée pour lui.