Boum

Un mail.
L'effet d'une petite bombe. Un éteau qui compresse mon cerveau, alors j'y repense de toutes mes forces: "Mettre des gardiens aux portes de la perception", mais c'est trop tard, trop de pression dans ma boite crânienne soudain et tout s'emballe et l'angoisse monte alors je la réfrène du mieux que je peux mais ce sont les larmes qui prennent le dessus et je refuse alors de ma gorge serrée ne sort aucun son de ce qui se trame dans ma tête: "Je ne suis pas ma mère. Je ne suis pas ma mère. Je ne suis pas ma mère."
Qu'est-ce qui lui prend tout à coup? D'où ça lui vient?
Elle se sert de ma boite email comme d'un déversoir.
Je ferme les yeux et les réouvre sur ce mail écrit en tout petit, sans ponctuation, des phrases collées, enchevêtrées, une écorchure après l'autre et elle me parle de mon beau-père. Et quoi, elle doit pleurer derrière son écran avec ses doigts tout tremblants mais qu'est-ce que j'y peux moi? Il veut la quitter et oui je sais ce que ça fait. Mais ça veut dire quoi il devient violent, il tappe déjà ou pas encore? Et pourquoi je me retrouve à me poser ces questions à la con?
Mais qu'est-ce qu'elle fabrique? Qu'est-ce qu'elle veut bordel? Elle me dit qu'elle est allée fleurir la tombe de ma mère et qu'elle se demande si elle aurait patienté aussi longtemps. Et moi je lis ça et je dois faire quoi hein? Réaction zéro? C'est ça qu'elle croit? Et elle me dit qu'octobre est le mois de l'horreur. Et moi, hein? Et moi? Je ne suis pas amputée, elle est toujours là cette putain de plaie béante comme un gouffre où se concentrent parfois toutes mes petites déchirures intérieures qui encore aujourd'hui s'assemblent et se resserrent comme un immense spasme et me font dévaler la pente de ces vingt-et-une années gravies le coeur serré avec l'obligation de ne pas me retourner.
Oh oui, oui oui, je sais ça. Je sais. Elle était sa meilleure amie.
Elle l'a aidée à s'enfuir de chez mon père qui la battait.
Elle a été son témoin quand elle a épousé mon beau-père.
Elle passait une heure au téléphone chaque soir avec elle.
Elle s'est occupée de ses funérailles.
Ils se sont tellement réconfortés avec mon beau-père qu'ils en ont refait leur vie ensemble.
Et maintenant elle voudrait me raconter sa vie?

Et je ne sais pas ce qui me tient dans l'hésitation. La culpabilité de lui en avoir voulu tant d'années. La compassion pour sa douloureuse vie dédiée aux autres. La reconnaissance de nous avoir sauvées de ce fou violent et alcoolique.

Mais qu'elle ne vienne pas tout me mélanger maintenant que j'ai fait une bonne partie du tri. Qu'elle me foute la paix.
JE
NE SUIS PAS
MA MÈRE

Comments

[Ob]

Il me semble qu'au contraire tout est clair pour toi et que tu sais où s'arrête l'emprise de cette femme... derrière un écran.

[Ob]

Waou

[yosho]

Non tu n'est pas ta mère, mais tu devrais aller voir un psy pour t'aider à garder "l'ordre" dans lequel tu as rangé tout ça...Ce n'est qu'une idée !

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