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la girouette
19 mai 2005

La folie

C’était chez Mermet. J’écoutais Cloé raconter sa première passe; son anxiété mêlée de peur. Son premier client était jeune lui aussi, et il n’était pas à l’aise non plus. Elle avait ses règles. Ils ont pris leur temps.

Je détournai mon regard de je ne sais quoi : Cloé n’était pas devant moi. Mes yeux tombèrent sur le coffre du scooter à ma gauche. Une fleur brisée pendait, prise au piège entre le capot et le cul. Il devait y avoir des dizaines d’autres fleurs à l’abri de la lumière et de la chaleur. Des fleurs champêtres; cueillies pour flatter, faire plaisir ou remercier. Mais elle, toute rose, était déjà presque toute fanée.

Plus loin, à un autre feu, je vis cette femme assise sur un banc. Elle parlait, le regard fuyant fixé droit devant. A côté d’elle, une cage à oiseau. Sur le grand boulevard elle était là qui parlait à je ne sais qui (allait-elle ouvrir la cage ?) et Cloé continuait de sa voix suave, observant parfois des silences lourds comme le plomb.



La folie c’est un peu lâcher les vannes. A moins qu’elles ne lâchent toutes seules. Qu’est-ce qui altère le discours au point que la réalité devient fantasque ?

Vous êtes à Londres, dans Regent’s Park, vous vous appelez Maisie Johnson et voici ce que vous voyez :

…les bassins de pierre, les fleurs bien entretenues, les vieillards, hommes et femmes, presque tous infirmes, dans des fauteuils roulants, tout cela après Edimbourg, paraissait tellement bizarre. Et Maisie Johnson, tout en allant retrouver cette foule qui avançait à pas lents et lourds, jetant aux alentours des regards vagues, se laissant caresser par le vent – et les écureuils se perchant pour faire leur toilette, les cascades de moineaux voletant à la recherche de miettes, les chiens s’activant contre les grilles, s’activant entre eux, tandis que l’air tiède les baignait doucement…

Maintenant vous vous appelez Septimus Warren Smith, et vous assistez à la même scène :

…Heureusement Rezia appuya sa main sur son genou avec une force considérable, ce qui le cloua sur place, lourdement lesté, car sinon, l’excitation de voir les ormes monter et descendre, leurs feuilles illuminées, et la couleur passant du fluide à l’épais, du bleu au vert d’un creux de vague, comme des plumets sur la tête des chevaux, des plumes sur la tête des femmes, tant ils montaient et descendait avec fierté, avec majesté, oui, cette excitation l’aurait rendu fou. Mais il ne voulait pas devenir fou. Il allait fermer les yeux. Il ne verrait plus rien.

Mais ils firent signe ; les feuilles étaient vivantes ; les arbres étaient vivants. Et les feuilles, reliées par des millions de fibres à son corps sur le banc, l’éventaient de haut en bas ; quand la branche s’étirait, il en faisait autant. Les moineaux qui battaient des ailes, qui s’élevaient et retombaient en cascades dentelées, faisaient partie de cet ensemble ; tout comme le blanc et le bleu, barré de branches noires. Les sons faisaient entendre une harmonie préétablie, les intervalles qui les séparaient avaient autant de sens que les sons eux-mêmes…

L’omniscience est accaparante. J’ai mis des lustres à aller au bout de ce livre. Il m’a épuisée. J’ai adoré. (Mrs Dalloway, Virginia Woolf)



Un jour, il ya un peu plus d'un an, je me suis regardée dans le miroir et je ne me suis pas reconnue. Ma conscience était devenue un corps opaque qui s’était détaché de moi. Elle me répétait que oui, c’était bien mon reflet. Mais je ne pouvais pas la croire : elle s’était détachée de moi, elle n’était plus moi. Elle n’était plus crédible.

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Commentaires
O
Tu l'as terminé ! <br /> Je me suis arrêtée à : " Mrs Dolloway said she would buy the flowers herself ! "
la girouette
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