La peur qui rôde
Si t'as croisé une fille dans le métro qui écarquillait des yeux grands comme ça et qui semblait dévorée par son bouquin...
ben c'était moi.
Le décor de l'endroit où je creusais aurait suffi à ébranler les nerfs d'un homme ordinaire. Des arbres sinistres, de taille anormale et d'aspect grotesque, me contemplaient d'en haut comme les colonnes de quelque temple infernal, assourdissant le bruit du tonnerre et celui du vent, laissant passer quelques rares gouttes de pluie. Là-bas, au-delà des troncs meurtris, illuminés par de faibles éclairs, se dressaient les pierres humides et couvertes de lierre de la maison abandonnée; un peu plus près s'étendait le jardin hollandais, aux allées et aux massifs pollués par une végétation surabondante, blanche, fétide et corrompue, qui n'avait jamais reçu la pleine lumière du jour. Tout près se trouvait le cimetière familial où des arbres difformes étendaient leurs branches folles, pendant que leurs racines, soulevant hideusement des dalles, suçaient les sucs vénéneux de sous-sol. De temps en temps, au-dessous du brun manteau de feuilles qui pourrissaient et suppuraient dans l'obscurité de cette forêt antédiluvienne, je pouvais déceler les contours sinistres de ces petits monticules qui semblaient caractéristiques de cette région meurtrie par la foudre.
C'est l'Histoire qui m'avait amené à cette tombe ancienne.
L'Histoire, en fait, était tout ce qui restait, maintenant que tout le reste avait sombré dans un satanisme dérisoire. Je croyais alors que cette peur qui rôdait n'était pas une chose matérielle, mais un fantôme aux crocs de loup qui chevauchait les éclairs à minuit. Je croyais, en raison des nombreuses traditions locales que j'avais recueillies au cours de mes recherches en compagnie d'Arthur Munroe, que ce fantôme était celui de Jan Martense, mort en 1762. C'est pourquoi, comme un dément, je creusais dans sa tombe.