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la girouette
2 novembre 2004

Ex aequo

Quoiqu'il s'en défende, l'homme est au moins aussi inconstant, calculateur, compliqué et indécis que la femme. C'est joliment mis en forme et en contexte dans le petit roman de Bernheim.
Force est de constater, malheureusement, que l'auteur est une auteure...


Il était huit heures et demi. Loïc rentra de l'hopital. Il n'irait pas chez Hélène. Elle avait probablement déjà préparé le dîner. Elle avait fait sa toilette, mis son diaphragme. Elle lisait le journal, vérifiait son maquillage et sa coiffure, regardait la télévision, passant gaiement d'une chaîne à l'autre. Elle attendait. Elle commencerait à s'impatienter vers neuf heures et quart. Elle baisserait le son du téléviseur afin de mieux entendre les bruits de la cage d'escalier. Une vingtaine de minutes plus tard, elle éteindrait le poste. Elle resterait immobile sur son canapé, les coudes sur les genoux, le menton dans les mains. Chaque craquement dans l'escalier, chaque vibration de l'ascenseur la ferait sursauter. Mais aucune semelle ne se frotterait à son paillasson et personne ne sonnerait à sa porte. Et puis elle s 'inquièterait. Elle téléphonerait chez lui. Il ne répondrait pas.

(...)

Loïc regarda sa montre. Il était onze heures et demie. Ses membres étaient ankylosés. Il n'avait pas bougé de son fauteuil depuis le début de la soirée. Que faisait Hélène? Il souleva le récepteur du téléphone, écouta la tonalité et raccrocha. La ligne n'était pas en dérangement. Loïc n'avait pas dîné. Il prit dans son frigidaire le vieux pot de miel et tenta d'en étaler sur des biscottes. Elles se brisèrent toutes. Il les mangea. Il remarqua pour la première fois combien les biscottes pouvaient être bruyantes quand on les mâchait. Il s'interrompit à plusieurs reprises, la bouche ouverte, craignant de ne pas entendre la sonnerie du téléphone. Il marchait de long en large. Soudain, il aperçut, dans le dessin du tapis, une forme qui ressemblait à une tête de chien. Il ferma les yeux, les rouvrit. La tête de chien était toujours là. Il s'éloigna, revint. Il ne voyait qu'elle. Il enfila son manteau et quitta son appartement.

En moins de dix minutes, il fut chez Hélène. Il ne vit pas de lumière à ses fenêtres. Il monta l'escalier et colla son oreille contre la porte. Il crut entendre un bruit étouffé. Ce n'était que le froissement de ses cheveux sur le bois. Hélène s'était déshabillée. Elle avait retiré son diaphragme. Il ne lui avait servi à rien. Elle l'avait gardé en elle plus de trois heures pour rien. Il était chaud et onctueux. Elle l'avait rangé dans sa boîte après l'avoir lavé et essuyé. Et maintenant elle dormait.
Il n'était pas venu. Il ne l'avait même pas prévenue. Et Hélène ne s'était pas inquiétée de son absence. Elle dormait.
Loïc s'assit sur une marche. Il arracha une feuille de son agenda et écrivit un mot d'excuses qu'il glissa sous la porte.

Il se gara face à l'immeuble de Brigitte. Son appartement était éclairé. Il lui ferait l'amour et il dormirait chez elle. Il traversa la rue et composa le code d'entrée. Les seins de Brigitte allaient s'agiter, les petits sons sortiraient de ses grosses lèvres et elle jouirait en grouillant sous lui. Il remonta dans sa voiture. Il rentra chez lui. Son lit était glacé. Loïc avala deux comprimés de somnifère.

Un couple, Emmanuèle Bernheim, Folio

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